Alexis ou comment se prendre pour "quelqu'un". Lionel Souche



La présente situation clinique évoque des consultations psychosexologiques visant à traiter d’une part un temps de latence éjaculatoire déclaré comme insatisfaisant et, de l’autre, la souffrance issue d’une histoire sexuelle complexe. A partir des énoncé et contexte de la demande initiale d’un patient, nous aborderons comment l’approche EMDR semble être une ressource dans la recherche de solutions quant à la détresse sexuelle. Du symptôme à la problématique générale, l’idée principale restera de mettre en travail une nouvelle fois comment la prise en charge sexologique interpelle une nécessaire dynamique entre corps et esprit.


HISTOIRE CLINIQUE ET ANAMNÈSE

Alexis, 43 ans, technicien devenu en cours d’emploi ingénieur dans l’hydroélectricité, marié à Sandrine, 42 ans, fait appel à mes services à la suite d’une campagne publicitaire d’un laboratoire faisant la promotion d’une molécule dont les effets visent à retarder l’éjaculation. D’emblée, je m’assure au téléphone que le patient a bien assimilé que de par ma formation de psychologue, je ne travaille pas à partir de prescriptions médicamenteuses. Il n’y a pas confusion : son fils, âgé au moment de la consultation de 18 ans, au détour d’un spot télévisé, l’a timidement interpellé sur ses propres difficultés dans la gestion de ses rapports. Le père est lui-même bien en mal pour s’entretenir de sexualité. Tel est le déclencheur de son appel. En entretien, il rapporte assez distinctement une souffrance qui confère à la honte, liée à l’éjaculation prématurée primaire dont il dit souffrir dès l’origine de son activité sexuelle.

DEMANDE DU PATIENT ET LE SYMPTÔME

Le patient souhaite s’occuper des troubles dans sa sexualité mais n’a pu se résoudre à le faire qu’en réaction à une violente confrontation entre médias, découverte de la sexualité de son fils et lassitude, pour ne pas dire désespoir dans une situation qu’il ne supporte plus. Alexis exprime réaliser son propre paradoxe : « Je ne sais pas prendre soin de moi ! Même pour ça [sa sexualité], il a fallu que ce soit la télévision et mon fils qui me réveillent. »

BASES THÉORICO-PRATIQUES ET REPÉRAGE

A la suite de l’évaluation de sa situation globale, nous relevons avec Alexis de multiples encombrements et préoccupations, sources d’anxiété. Les domaines
affectifs n’ont guère été favorisés dans son milieu d’origine. Ainsi, toutes ses demandes infantiles de réassurance se sont soldées par des violences psychiques comme physiques : « Les coups, ou pire, les brimades pouvaient tomber n’importe quand, surtout au moment où on les attendait le moins (sic). » De multiples maltraitances ont entravé son développement psychosexuel. A l’âge où classiquement les adolescents font de répétitives expériences masturbatoires ou lors de relations, Alexis se remémore ne ressentir que honte et culpabilité dans ses premières réactions sexuelles isolées jusqu’à la rencontre de Sandrine. Ces affects envahissants empiètent de façon dommageable sur une rencontre ludique et transitionnelle avec les sphères du désir et du plaisir.

Dans les prémisses de la thérapie, il suppose que son unique partenaire n’est pas dérangée par ses inhibitions et inexpériences sexuelles sans jamais avoir pris le risque d’aborder le sujet. Selon ses dires, plus par défaut que par amour, il s’est uni à elle sous le sceau du silence quant à leurs relations sexuelles. Il s’autorisera à pleurer lors de notre second entretien, l’émotion fut vive mais permit de déboucher sur cette phrase qui nous permettra d’amorcer la seconde partie de la thérapie : « Là aussi, je n’ai jamais pu avoir de contrôle… (sic) » Clairement, Alexis présente un tableau clinique multi-traumatique : ses capacités à gérer toute source de stress sont malaisées, l’estime de soi placée sous des augures négatives, ses capacités à
faire des choix et à conflictualiser ses relations lacunaires.

Au niveau systémique, la sexualité émergente de son fils réveille les failles de la sienne ; son couple semble organisé autour d’une non-conflictualité notamment dans l’évocation mutuelle des satisfactions en matière de désir et de plaisir. L’analyse psychodynamique nous inciterait à exploiter les complexes et inhibitions en matière de sexualité génitale ; l’hypothèse de troubles sévères de l’attachement permettrait sans doute d’expliquer une palpable insécurité. Entre autres, une première évaluation cognitive du patient mettrait à jour l’existence de paradoxales croyances selon lesquelles ne pas évoquer un sujet délicat permet trait d’en éviter les désagréments. Dix ans auparavant, Alexis a déjà sollicité
quatre consultations sans avoir l’impression que l’espace – vraisemblablement
d’inspiration analytique – lui ait donné l’impression d’avancer. Il convient de
proposer une approche originale répondant à la fois à une demande précise tout
comme tenant compte de capacités d’élaboration précaires, tout du moins en
début de prise en charge.

Nous nous accordons pour travailler à partir de l’approche que je vais m’attacher à dépeindre : l’EMDR ou « Eye Movement Desensitilization & Reprocessing ». Elle vise à cibler puis à retraiter ce qu’il convient de nommer des cognitions négatives issues d’expériences précoces non digérées. Plusieurs domaines font le nid des cognitions négatives ; ce sont autant de poisons à l’épanouissement de la personne, a fortiori de sa sexualité. Ils se rencontrent sur les axes de la vulnérabilité, du contrôle, de la honte ou bien encore de la culpabilité. Quiconque a expérimenté le plaisir charnel fera de lui-même le lien avec les ressources nécessaires aux appropriation et expression de sa sexualité. Comment jouir pleinement quand risque continuellement de s’abattre l’ombre d’un « je suis impuissant », d’un « mon corps est détestable », ou autre « je ne suis pas digne d’être aimé(e) » ?

Le comble étant bien évidemment que le sujet souffrant d’anéjaculation aura eu toute latitude de se formuler qu’il ne peut et ne pourra jamais rien lâcher ; la patiente vaginique noyée dans ses blocages, douleurs et bien souvent phobies aura tôt fait de s’enrouler dans un manteau de culpabilité en se répétant en
boucle qu’elle est fragile, voire ingrate pour l’autre. En marge des fameux mouvements oculaires permettant de restaurer les représentations intimes, la spécificité de la thérapie EMDR permet de repasser par une étape du développement du sujet afin de sortir de ses affres émotionnelles, sensorielles et imaginaires. Les séances d’EMDR visent au rétablissement des capacités à réguler une expérience plus ou moins infantile au fondement même d’une estime personnelle négative voire d’une non-appropriation des pleines fonctionnalités de son corps. Une fois désensibilisées, ces cognitions néfastes sont couplées à leurs opposées, les cognitions positives : un « je n’ai pas de place » sera, par exemple, éclairé à la perspective d’un « je peux prendre ma place ».

In fine, ce dispositif novateur permet de décontaminer l’ensemble des expériences où le sujet aura renforcé à son insu et de manière dysfonctionnelle les représentations négatives de lui-même. Prises de conscience et expériences corporelles positives éprouvées sont les bases de cette approche. Le sujet réalise et accepte alors que la vie résiste à se laisser enfermer dans ses répétitions. Il n’est donc pas condamné à rester prisonnier d’un trauma souvent tenace en dépit de l’ensemble des expériences positives qu’un appareil à penser, mazouté par ses traumas, n’aura pas permis de repérer.


Joëlle Mignot est psychologue clinicienne spécialisée en sexologie clinique et en hypnose… En savoir plus sur cet auteur

Rédigé le Lundi 14 Avril 2014 à 16:37 | Lu 2140 fois modifié le Mercredi 14 Novembre 2018
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