Choc professionnel et trouble sexuel



Quand la sphère professionnelle vient heurter l’intime
Par Nathalie Parein

« Travail » : curieux terme qui, par son origine (tripalium), est associé à la contrainte et au tourment, mais qui pourtant participe à l’épanouissement de l’individu, son intégration dans la société et même sa construction personnelle.


Introduction

Freud disait au sujet du travail : « Aucune autre technique pour conduire sa vie ne lie aussi solidement l’individu à la réalité que l’accent mis sur le travail » (1). Ce double visage du travail, on le retrouve encore et toujours. La souffrance peut être liée à une situation de travail douloureuse voire violente, ou être consécutive à la rupture de contrat (plus ou moins brutale) et in fine à l’absence de travail. « Le théâtre premier de la souffrance est (…) celui du travail, tant pour ceux qui en sont exclus que pour ceux qui y demeurent » (2).
 
Aussi, en partant de ces constats, peut-on s’interroger sur les conséquences de ces souffrances professionnelles en matière de vie intime, sexuelle et en particulier les conséquences de chocs professionnels du type « burn-out », harcèlement, perte d’emploi (licenciement, démission, rupture conventionnelle), chômage. Ces thématiques sont rarement évoquées en sexologie. Et pourtant les questions sont nombreuses : peut-on présumer qu’il existe un lien entre ces chocs professionnels et des difficultés sur le plan sexuel, comment cela va-t-il se manifester ? Ces conséquences vont-elle varier selon les situations de chacun et comment se reconstruire ?
 
Avec plus de vingt ans d’activité passés au sein d’entreprises privées, sur des missions en ressources humaines puis sur une activité d’accompagnement professionnel parallèlement à l’activité de thérapeute, j’ai été témoin de situations difficiles et j’ai recueilli de nombreux témoignages en matière de souffrance et de difficultés sur le plan personnel et intime. J’ai eu envie d’écrire sur ce thème finalement peu abordé.
 

Choc professionnel

La notion de choc professionnel n’existe pas en tant que telle dans la littérature professionnelle, elle n’a pas plus d’existence dans le domaine clinique, mais elle est intéressante car elle renvoie à la notion de « choc émotionnel » et en définit directement la source : la vie professionnelle. On pourra retenir sous cette notion les situations de burn-out (ou syndrome d’épuisement professionnel), de harcèlement moral ou sexuel, ou encore la perte d’emploi : licenciement brutal, chômage.
 
Les situations ne sont pas encore toutes reconnues sur un plan juridique. Autant une loi sur le harcèlement a été intégrée au Code du travail, en particulier sous l’impulsion de Marie-France Hirigoyen qui a beaucoup écrit sur ce point, autant les situations de burn-out ne sont pas encore traitées légalement mais cette question est à l’étude. La jurisprudence prend parfois le relais en qualifiant ces situations d’accident du travail au sens de l’article L411.1 du code de la Sécurité sociale. Présenté dans les travaux de Bradley dès la fin des années 1960, le burn-out est devenu un terme couramment utilisé mais il est souvent confondu avec un état dépressif. Il peut prendre différentes formes, la phase ultime pouvant être définie comme « un état d’épuisement physique, émotionnel et mental résultant d’une exposition à des situations de travail émotionnellement exigeantes » (Enzmann et coll., 1998).
 
Le phénomène de burn-out ne peut être totalement déconnecté d’un contexte économique angoissant. En effet, de nombreux salariés vivent dans la hantise du chômage. Celui-ci peut survenir brutalement, comme un couperet faisant lui aussi basculer la vie du salarié. Le livre de Michel Debout, « Le traumatisme du chômage », sorti le 15 janvier 2015 (3), fait d’ailleurs référence à la violence du chômage et estime que ceci devient un réel problème de santé publique.
 

Souffrance au travail et psychotraumatisme

Marie Pezé et Christophe Dejours ont beaucoup contribué à l’avancée des réflexions en matière de souffrance au travail. Marie Pezé, psychologue clinicienne, a mis en place les premières consultations « Souffrance au travail ». Elle en a tiré un ensemble de témoignages et d’analyses qu’elle présente dans un ouvrage édifiant (4). Elle insiste particulièrement sur la notion de traumatisme et décrit de manière précise ces violences professionnelles. Même si tous les chocs professionnels ne sont pas des traumatismes, cette notion nous permet de comprendre une part importante des réactions citées dans les enquêtes et témoignages. En cas de grande violence, on constate en effet que cet événement produit une effraction psychique produisant des effets similaires à une névrose traumatique.
En matière de harcèlement, par exemple, les signes d’alerte sont nombreux : troubles du sommeil (insomnies, fatigue chronique), troubles alimentaires (prise ou perte de poids), perte de motivation, troubles de la concentration, pertes de mémoire, problèmes cardiologiques ou digestifs, baisse de la libido précisément, et recours aux psychotropes (alcool, tabac, drogue, anxiolytiques). Le tableau clinique du traumatisme est variable mais son intensité, sa complexité, peuvent provoquer les troubles évoqués ci-dessus. On notera, outre les nombreuses somatisations, l’altération de la perception de soi, de la conscience et des affects, la dépression accompagnée du sentiment d’abandon et de culpabilité, l’impression de ne pas être compris, le renversement des valeurs, la perturbation de la relation à autrui et éventuellement le changement de personnalité avec repli sur soi. La victime du traumatisme a parfois des conduites à risque et souffre d’addictions.
 
L’origine, ou le déclenchement du traumatisme, est donc ici l’univers professionnel. Les effets évoqués correspondent à ce qui est décrit dans les névroses psychotraumatiques, avec des répercussions en matière de sexualité. C’est aussi une situation de deuil, en cas de rupture de contrat en particulier, car le salarié « déchu » vit une véritable perte sur le plan professionnel. Tous les ouvrages sur l’importance du travail dans la construction de l’individu montre à quel point un événement sur cet axe peut être assimilé à une perte fondamentale nécessitant un travail de deuil. La courbe d’Elisabeth Kübler-Ross est intéressante en l’occurrence. Nous l’utilisons parfois en accompagnement professionnel pour permettre à la personne en difficulté de comprendre ses émotions, visualiser les différentes étapes vécues et celles restant à parcourir.


Nathalie PAREIN
Psychologue clinicienne - Psychothérapeute
Sexologue
Consultante en accompagnement professionnel


Joëlle Mignot est psychologue clinicienne spécialisée en sexologie clinique et en hypnose… En savoir plus sur cet auteur

Rédigé le Mercredi 14 Novembre 2018 à 15:32 | Lu 556 fois modifié le Mercredi 14 Novembre 2018
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