Elodie ou quand le vent souffle sur la colère. Sylvie Sevin



Elodie consulte pour douleurs lors des rapports, empirant depuis quelques mois en dyspareunie, entraînant toute pénétration très pénible voire impossible. Elle a déjà consulté son médecin traitant et deux fois un gynécologue, sans aucun résultat si ce n’est d’apprendre à se détendre. Elle fait donc cette démarche sexologique comme « un dernier espoir » pour elle et pour « sauver son couple », car son ami ne supporte plus cette situation.


HISTOIRE CLINIQUE ET OBSERVATION

Elodie est une jeune femme de 22 ans, étudiante en master de comptabilité, elle vit chez ses parents et a une relation amoureuse avec Jérémy depuis six ans. C’est une jeune fille de physique agréable, recroquevillée et en même temps assez agitée dans son fauteuil. Elle ne me regarde jamais vraiment et insiste sur la gravité de ses problèmes, me faisant comprendre que personne ne l’écoute vraiment. L’observation est pour moi très importante et riche de renseignements, je note à chaque entretien l’attitude, l’évolution ou les modifications comportementales des patients. L’ambiance familiale est difficile à supporter pour Elodie du fait de conflits récurrents avec sa mère, auxquels s’ajoute un sentiment d’injustice car sa soeur cadette de 18 mois a quitté dernièrement l’appartement familial pour faciliter ses études, alors qu’elle ne le peut pas. Elle parlera fréquemment de ses difficultés d’entente avec sa mère, femme toujours stressée, obsédée par la réussite financière et professionnelle ainsi que par la scolarité de ses filles. Elodie se dit moins brillante que sa soeur, préférée de sa mère, elle a donc l’impression de subir encore plus le courroux maternel. Elle ne supporte surtout pas de l’entendre crier et la plupart du temps préfère rester dans sa chambre.

La relation avec son père est nettement meilleure mais Elodie le trouve un peu faible et lâche, dominé par sa femme. Elle partage avec lui quelques moments de complicité en faisant de la piscine, mais souffre de n’avoir plus le temps maintenant, ni pour aucune autre activité ou sortie avec des copines, ce qui lui manque beaucoup. Ses parents sont mariés depuis vingt-cinq ans, d’un milieu de petite bourgeoisie catholique de province près de Strasbourg. Elodie est très attachée à sa grand-mère paternelle mais elle ne peut pas la voir souvent du fait de la distance. Elle décrit une enfance « normale » mais plutôt solitaire, dans son monde, avec peu d’amies, elle ne s’est en plus jamais bien entendu avec sa soeur. L’éducation n’était pas excessivement stricte mais basée sur les résultats plus que sur les échanges et la tendresse, de toute façon « ma mère n’avait et n’a pas de temps pour tout ça ! ».

La sexualité, sans être un sujet complétement tabou, a été abordée de façon minimale avec l’explication des règles, des risques de grossesse, donc de la contraception, et surtout le leitmotiv « qu’il fallait faire attention aux garçons ». Elodie a un peu plus parlé avec sa grand-mère et l’entend encore lui dire : « On ne couche pas avec plusieurs garçons et quand on en a un, on fait tout pour le garder ! ». Elodie n’a pas eu d’autre copain que Jérémy, il est son premier amour et amant. Elle ne s’était pas masturbée avant son histoire avec son ami, dit ne jamais en avoir éprouvé le besoin, et même si elle a essayé pour faire plaisir à Jérémy, elle ne ressent pas grand-chose, ce qui l’intéresse ce sont les câlins à deux. Elle n’a pas d’antécédents médicaux ou chirurgicaux particuliers, mais a été suivie pendant quelques séances par une psychologue pour des crises d’angoisse vers ses 13 ans. Elle ne prend pas de médicaments et est sous pilule biphasique bien supportée, n’a pas eu de mycoses ou autres infections qui pourraient être à l’origine de ses douleurs.

Elodie a rencontré Jérémy en classe de 3e, c’est le premier garçon qui était gentil et s’intéressait à elle. Ils ont été très rapidement amoureux, « en fusion », leur premier rapport sexuel s’est plutôt bien passé quelques mois après leur rencontre, et sur l’insistance de son ami qui avait plus d’expérience sexuelle qu’elle. La pénétration ne lui ayant pas apporté de plaisir particulier, elle acceptait pour faire plaisir à Jérémy mais maintenant ne peut plus. Jérémy est décrit comme un jeune homme complexe, pas facile à vivre, fils unique élevé seul par sa mère depuis le divorce de ses parents à 5 ans. L’année dernière, celle-ci s’est remise en couple, ce que Jérémy n’a pas supporté. Il a quitté l’appartement et abandonné ses études sur un coup de tête, mais n’arrivant pas
à subvenir seul à ses besoins, il est revenu dans l’appartement maternel et fait des petits boulots en attendant de passer des concours pour entrer dans la police. Elodie explique qu’il a beaucoup changé, se montrant parfois désagréable et agressif même avec elle. Ils ont peu d’endroits pour avoir un peu d’intimité, ses parents n’apprécient pas beaucoup son ami, surtout depuis qu’il a arrêté ses études. Cette jeune patiente prend conscience que leur sexualité s’est compliquée depuis le début de « la crise de Jérémy » et de ses variations d’humeur mais reste persuadée que c’est de sa faute si leur relation se détériore encore parce qu’elle le frustre.

LA DEMANDE

Malgré son stress important, cette jeune patiente parle beaucoup et facilement. Elle se détend au fur et à mesure qu’elle raconte son histoire. Il est plus difficile de la recentrer sur la vraie demande de consultation, ses douleurs sexuelles, qu’elle n’arrive pas vraiment à décrire, ni à bien localiser. La demande sexologique est reformulée clairement : Ne plus avoir mal pour améliorer sa relation amoureuse.

BASES THÉORICO-PRATIQUES

Je me rends compte qu’elle a une connaissance limitée voire même erronée de son sexe. Je choisis d’utiliser des images pour décrire ses douleurs qu’elle verra rouge, en métal, et son sexe comme en entonnoir, etc. Ce petit portrait chinois simple l’amusera et me permettra de connaître ses représentations et ses capacités imaginatives. A l’aide de dessins et de schémas anatomiques, je lui expliquerai le fonctionnement ainsi que la commande volontaire ou pas des muscles du périnée, ces explications médicales sont pour moi indispensables à une amélioration de ce type de symptôme pour éliminer toute représentation négative et fausse idée pouvant entraîner un blocage inconscient. Je lui proposerai d’oser toucher différemment son corps, de masser son périnée avec une huile ou crème de façon à prendre conscience de sensations agréables et nouvelles.

LA RELATION

Le contact avec Elodie est facile, je sens cette jeune patiente curieuse, intéressée et très demandeuse de « s’en sortir ». Elle se montre très réceptive au dialogue, à ma formulation ainsi qu’aux consignes données, à savoir de ne pas avoir de rapport avec pénétration pour le moment, même si elle craint la réaction de son ami. Il faut aussi essayer d’améliorer le dialogue et le toucher entre eux. L’alliance thérapeutique me semble déjà bien installée.


Joëlle Mignot est psychologue clinicienne spécialisée en sexologie clinique et en hypnose… En savoir plus sur cet auteur

Rédigé le Mardi 22 Avril 2014 à 15:23 | Lu 1602 fois modifié le Mercredi 14 Novembre 2018
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