Hypnose naturelle. Philippe Brenot




"Moi qui ai signé, un des premiers, ma conviction intime aux effets réels du magnétisme animal…"

Armand de Chastenet, marquis de Puységur, se présente ainsi dans l’avant-propos de ses Mémoires pour servir à l’histoire du magnétisme animal, en 1786. Nous sommes à la fin du XVIIIe siècle et, avec beaucoup de réserve scientifique, le marquis de Puységur reconnaît à la fois l’intérêt des expériences de Mesmer et de ses propres observations, mais demande à ce que cela soit « cinquante fois répété pour en attester de bonne foi ». Puységur fait dès lors preuve d’un réel esprit scientifique en dénonçant la charlatanerie de certains magnétiseurs, mais en reconnaissant la réalité de ce qu’il appelle magnétisme animal. Nous sommes devant la première reconnaissance des effets objectifs de l’hypnose, qualifiés dès cet instant « d’animale », c’est-à-dire liés à ce que l’on pourrait appeler l’animalité de l’homme.

HYPNOSE ANIMALE

L’hypnose animale existe, je l’ai rencontrée.

Si je fais cette affirmation c’est pour rappeler, s’il en était besoin, le caractère réellement naturel de l’hypnose alors que la plupart des observateurs la pensent induite par l’hypnotiseur. La réalité est que depuis des siècles, et dans chaque culture selon des modalités différentes, certains initiés ont utilisé les capacités naturelles du sujet à être hypnotisé pour asseoir leur pouvoir. Car en vérité, la plupart du temps c’est le sujet lui-même qui présente cette capacité naturelle sans le savoir. Les travaux sur l’hypnose naturelle dans le monde animal sont quasi inexistants ou seulement à titre d’observations, souvent anecdotiques, ce qui contribue encore à renforcer la croyance dans le pouvoir de l’hypnotiseur. Cette capacité naturelle existe vraisemblablement chez tous les vertébrés, sinon
la plupart. Il s’agit certainement d’une fonction archaïque de survie se mettant en jeu dans des circonstances particulières, pour protéger l’individu, lorsque l’immobilisation immédiate est nécessaire comme, par exemple, pour se dissimuler devant le prédateur. C’est ce qu’a décrit Albert Demaret, dans son Divan naturel.

Dans des circonstances particulières, le sujet est alors capable d’immobilisation subite par abandon momentané de la volonté, de pseudo-paralysies (cf. la feinte de l’aile brisée chez les oiseaux) ou l’apparence d’une totale involonté pour « faire le mort », encore une fois afin de leurrer le prédateur. C’est certainement ce mécanisme qui entre en jeu dans les situations d’hypnose animale que nous connaissons. J’ai personnellement observé des phénomènes hypnotiques très surprenants dans trois lignées phylétiques : les gallinacés, les crustacés, les sauriens.

C’est un phénomène bien connu dans les basses-cours, que l’on hypnotise facilement une poule en bougeant rapidement la main devant ses yeux et en la retirant brutalement. L’animal reste alors figé, le regard lointain et immobile, comme tétanisé. Il peut cependant marcher d’une façon quasi automatique, toujours « le regard dans le vide ». J’ai également le souvenir de la présentation de trois homards vivants (la couleur de la carapace en attestait) présentés immobiles sur un plateau d’argent la queue relevée en arrière, après avoir été hypnotisés par frottement rapide à l’arrière du crâne. C’est une technique assez connue pour obtenir la « tétanisation » de ce type de crustacés. J’ai enfin observé avec une grande stupéfaction l’hypnose d’un petit crocodile dans l’arène d’un cirque, toujours en lui massant le rachis en arrière du crâne, à quelques mètres des enfants qui étaient assis pour la représentation. Une fois hypnotisé, le crocodile resta libre de ses mouvements mais immobile, pendant quelques minutes, la gueule ouverte, jusqu’à ce que les animaliers le maintiennent à nouveau.

Cette hypnose animale semble une propriété naturelle que nous pouvons mettre en jeu par nous-mêmes (autohypnose) ou par l’intermédiaire d’un initié (sorcier, magnétiseur ou thérapeute) connaissant cette propriété et les moyens de l’activer. C’est ainsi que le magnétiseur fera plutôt croire à son pouvoir et le thérapeute aux capacités du sujet à entrer par lui-même dans cet état afin de mobiliser ses forces intérieures.

FREUD ET CHARCOT

Lorsque Freud suivit l’enseignement de Charcot à la Salpétrière dès 1885, il était très admiratif de la pensée du maître et du pouvoir thérapeutique de l’hypnotisme. Ce n’est que quatre ans plus tard qu’il préférera la « cure par la parole » à l’hypnotisme, à la suite du suicide d’une patiente suivie par lui en hypnose, suicide qu’il attribua à un excès de suggestion. En cela il assimilait hypnose et suggestion, et tentera dès lors de se situer au plus loin de la suggestion, en préconisant l’absence d’inductions, quelles qu’elles soient, ce qui fut réalisé par la psychanalyse. Il oscillera cependant souvent dans ses opinions en se rappelant de l’intérêt des effets de l’hypnose et, à plusieurs reprises, il tempèrera son jugement, comme par exemple en 1912, dans ses « Conseils aux médecins sur le traitement psychanalytique », lorsqu’il affirmera : « Ne pas s’opposer à ce qu’un psychothérapeute combine une certaine dose d’analyse à quelque traitement par suggestion, dans le but d’obtenir plus rapidement un résultat thérapeutique patent. » ; ou encore dans sa conférence au congrès de Budapest en 1918 : « Tout porte aussi à croire que, vu l’application massive de notre thérapeutique, nous serons obligés de mêler à l’or pur de l’analyse une quantité considérable du cuivre de la suggestion directe. »


Joëlle Mignot est psychologue clinicienne spécialisée en sexologie clinique et en hypnose… En savoir plus sur cet auteur

Rédigé le Lundi 15 Septembre 2014 à 11:03 | Lu 1473 fois modifié le Mercredi 14 Novembre 2018
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