L'éducation à la sexualité après Charlie



Par Catherine Leboullenger, Conseillère principale d’éducation à Nanterre, Formatrice académique en éducation à la sexualité et Titulaire du DIU de Sexualité humaine à Paris XIII
Revue Sexualités Humaines n°26


Cette année 2015, nous commençons les séances d’éducation à la sexualité au mois de janvier, deux semaines suivant l’horreur des attentats…
Nous sommes en état de choc d’autant que beaucoup d’élèves ont manifesté leur hostilité envers les journalistes assassinés, parfois en termes chargés de haine. Certains ont refusé d’effectuer la minute de silence, pas en ma présence cependant, où j’ai dit : « Nous allons observer une minute de silence pour les morts. »
Nous nous sommes alors posé les questions : n’allions-nous pas remettre les séances ? Attendre que la paix revienne ? Laisser les esprits s’apaiser ? Allions-nous supporter les dérives culturelles dont nous avions l’habitude mais qui nous heurtaient un peu plus dans les circonstances des attentats ? A travers la mort de Cabu, nous avions perdu notre enfance, celle du Grand Duduche que nous aimions, et nos rêves d’adolescence. Nous étions en deuil. Et de pleurer ensemble, nous nous sommes réconfortés. Nous ne pouvions laisser la peur nous envahir…
J’ai pensé au dialogue socratique pour laisser le plus possible tout le monde s’exprimer même à l’encontre de nos convictions, laisser dire sans nous laisser submerger par nos émotions et renvoyer les interlocuteurs et leurs questions à ce qu’ils pensaient le meilleur pour eux-mêmes. Pour ne pas laisser à l’œuvre les forces obscures.
Nous avions en tête de travailler sur le consentement dans l’esprit des directives du Rectorat sur l’égalité entre filles et garçons, ce qui n’empêche pas de répondre aux questions d’ordre physiologique sur la sexualité et la santé sexuelle mais aussi sur les stéréotypes et l’orientation sexuelle. Nous avons décidé de porter notre intervention pendant trois heures au lieu des deux heures allouées habituellement à l’éducation à la sexualité pour laisser une place large au débat. Nous avons construit un abaque de Régnier hétéroclite portant sur :

L’égalité garçons/filles
- Les garçons ne pensent qu’à ça…
- Les filles provoquent les garçons et puis ensuite, elles disent non…
- En amour, il faut tout accepter…
- Le père doit choisir le mari de sa fille…
- La jalousie est une preuve d’amour…
- Il faut être amoureux pour avoir une relation sexuelle.
Nous nous y attendions, les réponses ont été à la hauteur : oui, pour la majorité, les garçons ne pensaient qu’à ça, pas les filles. Oui, les filles provoquent les garçons, elles n’ont que ce qu’elles méritent si elles se font violer. Filles et garçons unanimes.
En amour, bien sûr, si le garçon décide, la fille n’a qu’à dire oui. Sur le père qui doit choisir le mari de sa fille, beaucoup de filles ont dit « oui, c’est à lui de choisir pour le bien de sa fille ». La lumineuse Anna, profitant d’une accalmie, a osé dire : « non, ce n’est pas normal ». Des filles qui avaient dit oui n’ont plus été aussi sûres.
A notre question, « qu’en pensent les garçons » ? Ces derniers, pour la plupart, ont de façon véhémente répondu que c’était au père de décider. D’autres filles ont protesté. Le débat s’est amorcé. Les filles sont allées au bout, « et si c’était toi ? ».
Sur la jalousie, moins de débatteurs, tous considèrent que la jalousie est une preuve d’amour. Quant à l’amour, nécessaire pour avoir une relation sexuelle, c’est nous qui avons joué les Socrate en différenciant amour, excitation, consentement. Consentement qui peut être remis en cause à chaque moment de la relation et jusqu’au dernier moment puisque le corps est impliqué à chaque étape d’une autre façon pour une fille ou pour un garçon.



Rédigé le Lundi 21 Aout 2017 à 15:45 | Lu 326 fois modifié le Mercredi 14 Novembre 2018
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