Laure ou du septième ciel au désenchantement. Clothilde Lalanne



Face à un couple souvent, n’est-ce pas, nous nous sommes demandé : quelles raisons avaient-ils d’être ensemble ? Les deux piliers du couple ne sont-ils pas l’illusion et le mensonge ? Dans la sexualité, nous rêvons de complicité, de respect, de je ensemble. Décharger la tension qui nous habite avec justement cette connivence du partage nous protège de nos peurs de la rupture de la relation, de sa mort. Lorsque dans ce lieu-là s’exprime la violence, l’humiliation du corps de la femme, l’assouvissement du pouvoir physique, là il s’agit de viol.


INTRODUCTION

Viol : « violare », « vis » veut dire « une force en action, essentiellement contre quelqu’un ». Du reste, « vires » désigne justement les forces physiques, en particulier les forces militaires, dit le Robert. Peut-on imaginer que le terme en argot « vit » exprimerait la puissance des organes sexuels virils ? Allons plus loin, ensemble, penchons-nous sur l’histoire de Laure. De Laure et de son mari ! Mais « traiter avec violence », « agir de sa force », comment entendre de telles expressions au sein d’un couple ? Peut-être, justement, là où il n’y a plus de coeur, seules « des pulsions hors-la-loi » en perte de contrôle. Pour quelles
raisons, cette violence ? Ce corps de l’autre maltraité ? Cette relation entre l’amour et la haine, le désir et le meurtre ? Ces pulsions contradictoires chez Jean? Les méandres de l’inconscient sont parfois inextricables.

HISTOIRE CLINIQUE

Laure est née il y a cinquante-six années. Vous en enlevez huit pour la silhouette. Vous en ajoutez dix pour la souffrance. Quel âge a-t-elle ? Presque indéterminé. C’est ainsi qu’elle franchit la porte de mon cabinet. Elle n’en peut plus. Un mari mort il y a dix-huit ans d’un accident de ski, une fille vivant en Australie, le fils aimé, mort d’un accident de voiture il y a dix ans, et le fils non désiré, le fils du viol marital, vivant là, pas loin, fils violent, agressif, irrespectueux, injurieux, et ne connaissant rien de sa naissance.

Son corps n’en peut plus, lui non plus. Il souffre. Alors, elle court entre les acupuncteurs, les ostéopathes, son médecin généraliste, les radios, les examens de
laboratoire. Alors… où le mal se loge-t-il ? Son médecin me l’adresse. Elle vient. Pourquoi pas ! Un psy ? Elle n’avait pas encore essayé et elle était si mal. Et puis, j’étais une femme. Alors, elle acceptait.

Laure avait fait des études supérieures, une maîtrise de Maths, et le Capes qui lui permettaient d’exercer dans un collège technique. Son mari était professeur d’éducation physique. Ils formaient un couple qu’un grand nombre admirait, enviait, jalousait même, car ils ne se disputaient jamais et jamais ne se dénigraient devant les autres. Une fille arrive dans le couple. Laure aurait tellement aimé avoir un fils comme aîné. Dans sa famille, il était « de bon ton » d’avoir un fils en premier. Chez son père, chez sa mère, c’était ainsi. Même chez les enfants de la soeur ! Enfin… il arrive ! Objet de vénération de la mère. Elle a 23 ans. Elle en est stimulée. Décide de continuer ses études, de passer l’agrégation de Maths. Son mari ne perçoit pas immédiatement le danger : il allait être confronté à leur différence d’études et à son complexe d’infériorité. « Pas à la hauteur », « minable », « petit ». Encore, si elle avait fait « Lettres », c’était plus féminin ! Mais les Maths étaient l’apanage de l’homme.

Plus les mois passaient, plus elle passait des heures à travailler le soir, lorsque les enfants étaient couchés. Elle s’épuisait, tenait bon, menant sa profession, ses enfants, ses études. Son mari ? En racontant « sa vie d’avant », elle reconnaît que sa relation conjugale passait après. Même, l’oubliait par moments. Jean ne faisait pas de reproches. Essayait simplement, quelquefois, sa main, le soir, sur son sein. Elle se retournait, fatiguée. Le silence était la réponse. Les réponses. Et puis un soir, il veut une relation sexuelle, elle refuse ; il insiste, elle refuse ; il veut un enfant, un troisième ; elle refuse. Pas le moment. Après l’agrégation peut-être. Deux enfants, c’est bien. Suffisant pour bien s’en occuper. Mais lui veut un troisième, ainsi elle restera à la maison, n’aura pas besoin de l’agrégation. Elle refuse, refuse. Il la tient. Elle crie, se débat. Ils se battent ! L’horreur. Il est plus fort qu’elle physiquement. Neuf mois plus tard, Adrien arrive. Encore un garçon ! Mais lui, le fruit du viol, « le non désiré », « le non voulu », « le non accepté ». L’enfant de l’appartenance, pas l’enfant de l’amour.
En une séance, Laure avait planté le décor : l’histoire de Jean ; sa perte de pouvoir intellectuel et social sur sa femme ; cette récupération sur le corps,soumis, esclave, « tué », de Laure. Haine et révolte légitimées par le complexe d’infériorité de Jean, le mari. Castré par l’ascension de sa femme, et cherchant tous les moyens pour la retenir. Leur couple meurt, là. Jean se tue dans un accident de ski. Mathieu meurt dans un accident de voiture. Adrien fils du viol, reste comme un temps présent…

DEMANDE DE LA PATIENTE

… Et ce temps indéfiniment continué ! Elle est devant moi, cette fois prête à se battre pour « en sortir », exprime-t-elle. Brecht disait bien « que celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu ». L’expression de la demande de Laure est très claire : sortir de la culpabilité asphyxiante avec son cortège de « noeuds à l’estomac » ; de « coeur qui s’emballe » ; de « souffle qui s’arrête » ; de « crispations intérieures » ! La faute, à se pardonner ! De quelle faute ? Pleurer la perte de l’aimé et ne pas aimer le fils du non-désir. Que de violences, d’énervements contre lui, et comme un doigt qui pointe, juge : « Tu es une mère qui refuse d’aimer son enfant » Elle s’en voulait tant ! Comme le dit Carl Rogers : « Il existe un curieux paradoxe : quand je m’accepte tel que je suis, alors je peux changer. »

CHOIX DES PISTES CLINIQUES

Nous avons très vite utilisé l’hypnose, dès la quatrième séance, dans un cadre psycho-analytique, afin de lui permettre d’associer et d’entendre là où ça parlait en elle ; là où son corps était touché. L’autohypnose mise en place immédiatement, comme à mon accoutumée, est centrée sur la sensation consciente de sa force intérieure, toujours utilisable face à ses doutes. Ainsi le patient est acteur et non pas passif. Il s’agit d’être distancié pour maîtriser.

APPLICATION : TECHNIQUES HYPNOTIQUES MIXTES

Comme base d’autohypnose, elle trouva mentalement dans sa chambre un objet sécurisant, réconfortant, qu’elle « met » dans une de ses mains – celle ressentie leplus comme amie – et vit cette sensation chaque fois qu’il est nécessaire d’affronter ce qu’elle vit comme un danger, avec une peur physique qui la serre : un timbre de voix fort ; un cri ; une colère et… elle tremblait. Elle ne voyait pas l’objet choisi par elle. Seule la sensation était présente, compagne de route.


Joëlle Mignot est psychologue clinicienne spécialisée en sexologie clinique et en hypnose… En savoir plus sur cet auteur

Rédigé le Mardi 6 Mai 2014 à 13:22 | Lu 1569 fois modifié le Mercredi 14 Novembre 2018
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