Dans ce contexte, l’approche par l’hypnose se déploie à différents niveaux. La particularité de la demande sexuelle est qu’elle est avant tout symptomatique. Internet est passé par là, la médiatisation aussi. Ne sont plus rares les patientes qui arrivent en ayant posé un diagnostic somme toute assez précis, quand elles n’ont pas fait le tour des sexologues de leur région et essayé plusieurs méthodes
plus ou moins opératoires. Certaines arrivent aussi avec un certain nombre d’années d’analyse derrière elles. Ces patientes sont souvent reconnaissables, dès leur premiers mots, à leur façon de mettre en route leurs processus intellectuels.
L’hypnose arrive souvent soit comme une dernière chance, soit comme une panacée ou un filtre magique mettant le thérapeute dans une position de sauveur paternel (« vous êtes mon dernier espoir… »), soit de toute puissance maternelle (« je me remets entre vos mains… car vous, vous savez… »). Un troisième terme peut apparaître, c’est celui, comme disent les psychologues, défensif et à connotation paranoïaque, « l’hypnose, ça me fait peur… peur de ne plus être maîtresse de moi-même »… Justement !
Tout ceci pour dire que les premiers temps de la relation (et ce que le thérapeute pourra en repérer) vont être décisifs dans la prise en charge des troubles sexuels de cette femme à travers son histoire, son vécu, son corps, sa capacité à élaborer avec souplesse, autant de pistes à explorer avec cette approche créative et dynamique qu’est l’hypnose. Un temps sera nécessaire pour préciser cette demande, car nous le savons, en sexologie une demande peut en cacher une autre et souvent le symptôme a des racines profondes.
Pas de précipitation, donc ! Il n’y a aucune réponse toute faite et surtout pas une application hypnotique pour un problème. Lorsque nous apprenons avec sérieux les techniques d’hypnose, c’est avant tout pour qu’elles servent de base à la prise en charge qui se fondera sur le matériel apporté par la patiente, sur sa capacité à créer, à accepter le changement, dans la sphère la plus intime d’elle-même, sa sexualité. Une part se fera à travers le conscient, l’autre de son inconscient, et lui échappera. Il lui faut accepter cette « échappée belle ». Il lui faudra aussi accepter de ne pas tout comprendre. C’est à ce prix que le « travail » hypnotique pourra se faire, dans cet état si particulier de contact avec soi-même, d’intériorisation vers des zones d’ombre corporelles et psychiques, de dialogue au-dedans de soi, cet état d’absorption qui ouvre des portes et des fenêtres vers des voies nouvellesqui peuvent s’appeler désir, plaisir ou relation amoureuse. Le thérapeute aura valeur de guide avisé et éclairé par une formation solide dans l’alternance entre verbalisation et expérience hypnotique.
QUELS SONT LES INTÉRÊTS ET OBJECTIFS D’UNE APPROCHE PAR L’HYPNOSE DANS LES TROUBLES DE LA SEXUALITÉ FÉMININE ?
Tout d’abord, plusieurs facteurs sont à prendre en compte :
1 - La sexualité de la femme est intérieure par sa conception physiologique. La mise en place de la « conscience sexuelle », c’est-à-dire d’une part de la présence des organes sexuels externes et internes, d’autre part de leur dimension sensorielle de plaisir est, pour certaines femmes, très difficile à réaliser. Il existe de vraies inégalités devant cette relation au corps sexué et à son expression dans la relation, inégalités qui s’inscrivent essentiellement dans l’histoire de chacune. Cette complexité s’étend à la capacité d’érotisation des autres parties du corps, la peau, les seins et toutes les zones
individuellement sensibles. La sexualité féminine se construit dans un double mouvement de la conscience vers l’intérieur mais aussi vers la périphérie du corps jusqu’à sa surface, la peau.
2 - Cette capacité de représentation du corps sexué intérieur par sa cavité, sa vacuité qu’est le vagin se construit au fil de la vie. D’abord dans les toutes premières relations mère-bébé/fille à travers la reconnaissance de la féminité, mais aussi tout au long de la vie avec une acuité particulière dans les périodes charnières comme le passage de la sexualité de l’enfant à celle de l’adolescente, les premiers flirts, les premières relations sexuelles, les différentes rencontres et expériences. Le « regard du père » jour également un rôle primordial.
Ainsi, il est important de considérer que la sexualité féminine n’est pas fixée mais en mouvement et en évolution, s’étayant sur des bases physiologiques, hormonales, relationnelles et d’apprentissage. Les éventuels traumatismes seront autant de jalons dans cette évolution, les expériences renforçatrices de confiance également. S’ajoute l’accès à la masturbation qui relève de la curiosité envers son propre corps et qui n’est pas accessible à toutes les femmes pour des raisons souvent morales. L’aspect transgénérationnel dans le passage de femme à femme joue aussi un rôle essentiel, en particulier dans sa dimension de « fidélité » à une forme de tradition féminine familiale fantasmée.
3 - Le corps de la femme a des fonctions et des caractéristiques bien définies : il est plastique, il est réceptacle, il est le lieu de passage du dedans au dehors et du dehors au dedans (et nous verrons que cette fonction est essentielle dans différents symptômes). Il est double lieu de création et nous nous trouvons souvent confrontés à cette dichotomie utérus-lieu de la maternité accepté/vagin-lieu de plaisir refusé. C’est cet antagonisme que nous avons souvent à traiter dans les demandes des femmes, et ce à tous les âges de la vie.
Il est également confronté à la limite des orifices et à leurs représentations transformant une porte d’entrée en une effraction. Enfin, il est porteur de creux et c’est précisément ce creux qui est source d’angoisse pour certaines femmes.
4 - La ligne du temps est toute spécifique à la sexualité féminine : de sa naissance à sa mort, les cycles rythment sa vie sexuelle. Cycles entre puberté et ménopause, cycles menstruels installant une variabilité dans la relation au corps, au désir dans sa dimension hormonale, cycles entre fécondité-maternité et érotisation-plaisir. Nouveau cycle aussi lorsqu’après la ménopause, la sexualité prend une forme moins contrainte et donc plus libre, ou au contraire s’estompe.
5 - La pression sociale de « l’orgasme à tout prix » mais aussi l’évolution de la société depuis les lois sur la contraception et l’avortement, qui permet aux femmes de vivre une sexualité de plaisir sans forcément y associer la « noblesse des sentiments ». Mais les idées reçues ont la peau dure… et nous avons à y faire face ! Chacune construira sa sexualité en lien plus ou moins fort avec l’amour.
6 - Les problématiques de la sexualité féminine doivent se considérer comme des troubles par excellence psychosomatiques, en ce sens que les interactions entre psyché et soma sont directes et à double sens.
7 - Enfin, la plainte s’inscrit dans une histoire de femme, d’épouse, d’amante et donc dans une histoire de vie impliquant la relation à l’autre réel ou fantasmé. Même si le symptôme éclôt brutalement, au décours d’un événement de vie ou sans crier gare, de façon semble-t-il fortuite, il peut s’enraciner profondément dans le passé, empoisonner le présent et mettre en question l’avenir.
RAPPEL DES BASES INTRAPSYCHIQUES DE LA SEXUALITÉ FÉMININE
La sexualité féminine a été l’objet, au cours du XXe siècle, d’études et d’évolutions tant sur le plan psychologique que sociologique, ces deux domaines devant être pris en compte pour mieux comprendre la sexualité de la femme aujourd’hui. Il est donc nécessaire de faire un rappel historique de l’évolution des idées et, en particulier, l’apport de la psychanalyse dans ses modèles théoriques successifs. Les deux textes princeps de Freud sur la sexualité féminine datent respectivement de 1931 et 1932. Un certain nombre de points cruciaux de la pensée freudienne seront largement critiqués et rediscutés par des psychanalystes femmes à la lumière du mouvement féministe.
Sur la base de la découverte de la sexualité infantile et de l’inconscient, à partir de la mise en évidence du complexe d’OEdipe, Freud, avec l’étude sur le masochisme féminin, relance l’interrogation sur la sexualité féminine. Ce qui lui sera largement reproché plus tard, c’est qu’il propose une construction de la sexualité féminine basée sur la sexualité de l’homme et essentiellement tournée vers une quête impossible, l’envie du pénis. Il souligne ainsi pour la petite fille la difficulté de la résolution oedipienne par l’angoisse de castration, celle-ci étant déjà à l’origine « castrée ».
Il reconnaît le mystère de la sexualité féminine sous la forme d’un « continent noir ». Freud termine sa 33e conférence par cette pirouette : « Si vous voulez en savoir plus sur la féminité, interrogez vos propres expériences de la vie, ou adressez-vous aux poètes, ou bien attendez que la science puisse vous donner des renseignements plus approfondis et plus cohérents. »
La question fondamentale au centre des débats psychanalytiques de l’époque qui va changer l’orientation de toute la conception de la féminité est la suivante : « Y a-t-il, chez la petite fille, une connaissance précoce du vagin ? » Si le débat semble dépassé aujourd’hui, c’est sur cette base de la non-reconnaissance d’une féminité originaire que se sont étayés ensuite les courants de réflexion et de contradiction.
Karl Abraham se pose la question d’une première « éclosion vaginale » de la libido féminine destinée au refoulement et pousse ses hypothèses jusqu’à mettre en parallèle les contractions vaginales spontanées de la petite fille et les premières érections du pénis du garçon. Par ailleurs, il précise ses hypothèses en proposant la « théorie du cloaque » mettant en relation directe les sensations transmises de la zone anale au vagin. Cette question avait d’ailleurs déjà été évoquée en 1916 par Lou Andreas- Salomé dans son texte « Anal et sexuel » par sa notion de « voisinage » anatomique, sensoriel et fantasmatique des deux zones dans la sexualité féminine.
L’école anglaise : si pour Josine Müller le vagin est le premier organe investi libidinalement, c’est Karen Horney qui expose ses idées du point de vue féminin. Elle met en évidence, à partir des fantasmes masturbatoires et des rêves des petites filles, leur connaissance instinctive du vagin. En fait, la fillette craindrait les différentes atteintes dont pourrait être l’objet l’intérieur de son corps. Melanie Klein reprend dans ses travaux cette crainte fondamentale en le resituant dans le contexte oedipien. L’envie du pénis est alors investie libidinalement et intériorisé « L’OEdipe de la fille ne s’installe pas indirectement à la faveur de ses tendances masculines, mais directement sous l’action
dominante de ses éléments instinctuels féminins. » (« La psychanalyse des enfants »).
Si l’organe visible est le clitoris, il n’en reste pas moins que la fillette a une connaissance très précoce et au moins inconsciente de son vagin. Les fantasmes et les sensations qui accompagnent la masturbation clitoridienne, les sensations vaginales qui en résultent, traduisent des désirs d’incorporation du pénis paternel (introjection). Dès la phase orale, c’est-à-dire très précocement, par la déception qu’éprouve la petite fille vis-à-vis du sein et sa conséquence, son déplacement au pénis du père (penis-like), l’OEdipe se met en place. Ernest Jones s’opposera radicalement à Freud en soutenant l’idée que la fillette est dès le début plus féminine que masculine et qu’elle plus centrée sur l’intérieur du corps que sur l’extérieur. Peu à peu, la psychanalyse sort de ce dans quoi elle s’était engluée, une vision phallocentrique de la sexualité féminine.
L’évolution de la sexualité des années 1970, et en particulier l’avènement de la contraception et la libéralisation de l’avortement, ont donné la possibilité aux femmes de séparer sexualité de procréation et sexualité de récréation. La mise en évidence et l’invitation à la révolte par les mouvements féministes contre la soumission des femmes au désir masculin ont permis de dénoncer la place d’objet assigné à la femme et de lui reconnaître le droit au plaisir. On s’aperçoit néanmoins dans la clinique que les choses ne sont pas si simples, car bien souvent sexualité et maternité restent liées dans la tête des femmes. Les travaux de Masters et Johnson sur la physiologie du rapport sexuel ont permis également de mieux comprendre le plaisir féminin, tout au moins sur un plan organique. Différents travaux, surtout anglo-saxons et canadiens (par ex. Helen Singer Kaplan, ou plus près de nous, Gilles Trudel) se sont penchés sur la dimension
comportementale et « consciente » de la sexualité féminine.
Si les théories d’inspiration psychanalytique de la psychogenèse de la sexualité nous restent précieuses quant à sa dimension inconsciente, il est un fait qu’on ne peut véritablement envisager une compréhension globale de la sexualité de la femme qu’à travers une vision évolutive tout au long de sa vie, et en prenant en compte sa relation à son corps anatomique, physiologique et fantasmatique. Ainsi, les études récentes montrent qu’orgasme clitoridien et orgasme vaginal sont liés sur le plan physiologique. « Les études scientifiques à niveaux de preuves satisfaisants démontrent bien l’existence d’une zone spécifique du vagin, péri-urétrale, situé sur sa face antérieure, richement innervée, et communiquant de manière dynamique avec le clitoris qui vient s’appuyer lors des mouvements de va-et-vient pendant la pénétration. Cette zone serait à l’origine d’un orgasme pouvant se déclencher pendant les mouvements intra-vaginaux, mais impliquant aussi le clitoris. »
La sexualité de la femme est donc complexe par son aspect secret et c’est avec cette complexité que nous devons composer en sexothérapie hypnotique, la première difficulté tenant aux représentations, tant sur le plan de l’image du corps, de l’acceptation de la féminité, que dans sa dimension d’autorisation face au plaisir et au désir.
REVUE DE SYMPTÔMES SEXUELS FÉMININS À PARTIR DE LA CLINIQUE
La demande sexuelle s’exprime la plupart du temps à travers le symptôme et tourne autour de plusieurs pôles :
- Les troubles du plaisir pouvant aller d’une anesthésie sensorielle totale, y compris sexuelle ou partielle (insensibilité vaginale uniquement), à l’anorgasmie primaire, secondaire ou contingente, a-t-elle des orgasmes clitoridiens ? Quand une femme vient avec cette demande « Je n’ai pas de plaisir… », il est indispensable de lui faire préciser sa demande pour savoir de quoi elle parle. Est-ce une incapacité à atteindre l’orgasme avec une montée de l’excitation ressentie agréablement ? Est-ce une incapacité à ressentir son intériorité ? Est-ce une insensibilité généralisée ?
Tous les degrés sont possibles et la prise en charge dépendra de cette analyse fine du rapport au plaisir de la patiente. Les classifications de Masters et Johnson (1970), puis de Kaplan (1974), sont des points de repères. Celles du DSM-IV sont communément adoptées par les sexologues en se basant sur les quatre étapes de l’activité sexuelle : désir, excitation, orgasme, résolution. Trudel distingue les troubles de l’orgasme des troubles de l’excitation (dysfonction sexuelle généralisée). Le DSM-IV insiste sur l’aspect physiologique de la réponse de l’excitation, c’est-à-dire la lubrification.
- Le vaginisme qualifié par Masters et Johnson comme « un trouble psychophysiologique » qui rend difficile voire impossible l’acte sexuel. En fait, il s’agit d’une
contraction spasmodique de la musculature du vagin qui empêche les rapports sexuels de pénétration.
- La dyspareunie consiste en l’apparition de sensations douloureuses pendant l’activité sexuelle. Les douleurs peuvent être à l’entrée du vagin ou plus en profondeur. Le DSM-IV considère qu’il y a dyspareunie lorsqu’une douleur persistante et récurrente est associée à l’activité sexuelle et cause une détresse marquée personnelle ou interpersonnelle. Notons que nous sommes très souvent confrontés à la spirale douleur/peur/ vaginisme et que dyspareunie et vaginisme font souvent bon ménage. Il est donc important de débrouiller les fils d’un vécu sexuel confus et ces classifications sont là pour nous y aider.
- Enfin, les troubles du désir qui font florès dans nos consultations. Le désir sexuel hypoactif (DSH), tel qu’il est défini dans le DSM-IV, est « une déficience persistante et récurrente dans le désir d’avoir des activités sexuelles ». Cette définition apparaît comme vague et la pratique clinique nous montre combien il est compliqué de prendre en charge ce type de problème qui est toujours multifactoriel. Là encore, nous sommes en face de degrés et de variation très différents d’une histoire à l’autre, d’un moment de la vie à l’autre. La demande prend souvent la forme de la problématique de la fréquence des rapports dans le couple, mais aussi implique de multiples dimensions affectives, expérientielles (traumatismes, habiletés sexuelles liée à l’expérience et aux premières relations), morales, croyances, nature de la relation conjugale, etc., qui souvent s’intriquent subtilement en prenant comme mode d’expression le refus qui
fait fonction d’impasse. Un des axes à explorer sera celui de la nature même du trouble du désir sexuel lié à l’histoire personnelle ou inscrite dans la relation à l’autre. Les liens complexes entre amour et désir seront également au premier plan, même chez la femme et pas forcément dans le sens qu’on pense !
Après ce bref rappel de la symptomatologie sexuelle féminine, il est important de rappeler trois points :
- Les troubles sexuels s’inscrivent toujours dans une histoire singulière et c’est la personne souffrante dans sa sexualité qui va d’abord nous intéresser.
- On ne peut ignorer les interactions subtiles entre les dimensions physiologiques et psychologiques et donc la dimension psychosomatique.
- Enfin, la demande même individuelle implique toujours le tiers réel ou fantasmé.
Sur ces bases, je vais vous proposer un tissage qui servira de modèle général pour la prise en charge des troubles sexuels féminins par l’hypnose.
REPÉRAGES NÉCESSAIRES
Ces repérages s’appuient sur 5 points : l’observation clinique au sens large, l’évitement de l’interprétation trop rapide et directe, l’utilisation du matériel de la patiente, le décodage psychopathologique, la place du symptôme dans l’économie de vie de la patiente.
plus ou moins opératoires. Certaines arrivent aussi avec un certain nombre d’années d’analyse derrière elles. Ces patientes sont souvent reconnaissables, dès leur premiers mots, à leur façon de mettre en route leurs processus intellectuels.
L’hypnose arrive souvent soit comme une dernière chance, soit comme une panacée ou un filtre magique mettant le thérapeute dans une position de sauveur paternel (« vous êtes mon dernier espoir… »), soit de toute puissance maternelle (« je me remets entre vos mains… car vous, vous savez… »). Un troisième terme peut apparaître, c’est celui, comme disent les psychologues, défensif et à connotation paranoïaque, « l’hypnose, ça me fait peur… peur de ne plus être maîtresse de moi-même »… Justement !
Tout ceci pour dire que les premiers temps de la relation (et ce que le thérapeute pourra en repérer) vont être décisifs dans la prise en charge des troubles sexuels de cette femme à travers son histoire, son vécu, son corps, sa capacité à élaborer avec souplesse, autant de pistes à explorer avec cette approche créative et dynamique qu’est l’hypnose. Un temps sera nécessaire pour préciser cette demande, car nous le savons, en sexologie une demande peut en cacher une autre et souvent le symptôme a des racines profondes.
Pas de précipitation, donc ! Il n’y a aucune réponse toute faite et surtout pas une application hypnotique pour un problème. Lorsque nous apprenons avec sérieux les techniques d’hypnose, c’est avant tout pour qu’elles servent de base à la prise en charge qui se fondera sur le matériel apporté par la patiente, sur sa capacité à créer, à accepter le changement, dans la sphère la plus intime d’elle-même, sa sexualité. Une part se fera à travers le conscient, l’autre de son inconscient, et lui échappera. Il lui faut accepter cette « échappée belle ». Il lui faudra aussi accepter de ne pas tout comprendre. C’est à ce prix que le « travail » hypnotique pourra se faire, dans cet état si particulier de contact avec soi-même, d’intériorisation vers des zones d’ombre corporelles et psychiques, de dialogue au-dedans de soi, cet état d’absorption qui ouvre des portes et des fenêtres vers des voies nouvellesqui peuvent s’appeler désir, plaisir ou relation amoureuse. Le thérapeute aura valeur de guide avisé et éclairé par une formation solide dans l’alternance entre verbalisation et expérience hypnotique.
QUELS SONT LES INTÉRÊTS ET OBJECTIFS D’UNE APPROCHE PAR L’HYPNOSE DANS LES TROUBLES DE LA SEXUALITÉ FÉMININE ?
Tout d’abord, plusieurs facteurs sont à prendre en compte :
1 - La sexualité de la femme est intérieure par sa conception physiologique. La mise en place de la « conscience sexuelle », c’est-à-dire d’une part de la présence des organes sexuels externes et internes, d’autre part de leur dimension sensorielle de plaisir est, pour certaines femmes, très difficile à réaliser. Il existe de vraies inégalités devant cette relation au corps sexué et à son expression dans la relation, inégalités qui s’inscrivent essentiellement dans l’histoire de chacune. Cette complexité s’étend à la capacité d’érotisation des autres parties du corps, la peau, les seins et toutes les zones
individuellement sensibles. La sexualité féminine se construit dans un double mouvement de la conscience vers l’intérieur mais aussi vers la périphérie du corps jusqu’à sa surface, la peau.
2 - Cette capacité de représentation du corps sexué intérieur par sa cavité, sa vacuité qu’est le vagin se construit au fil de la vie. D’abord dans les toutes premières relations mère-bébé/fille à travers la reconnaissance de la féminité, mais aussi tout au long de la vie avec une acuité particulière dans les périodes charnières comme le passage de la sexualité de l’enfant à celle de l’adolescente, les premiers flirts, les premières relations sexuelles, les différentes rencontres et expériences. Le « regard du père » jour également un rôle primordial.
Ainsi, il est important de considérer que la sexualité féminine n’est pas fixée mais en mouvement et en évolution, s’étayant sur des bases physiologiques, hormonales, relationnelles et d’apprentissage. Les éventuels traumatismes seront autant de jalons dans cette évolution, les expériences renforçatrices de confiance également. S’ajoute l’accès à la masturbation qui relève de la curiosité envers son propre corps et qui n’est pas accessible à toutes les femmes pour des raisons souvent morales. L’aspect transgénérationnel dans le passage de femme à femme joue aussi un rôle essentiel, en particulier dans sa dimension de « fidélité » à une forme de tradition féminine familiale fantasmée.
3 - Le corps de la femme a des fonctions et des caractéristiques bien définies : il est plastique, il est réceptacle, il est le lieu de passage du dedans au dehors et du dehors au dedans (et nous verrons que cette fonction est essentielle dans différents symptômes). Il est double lieu de création et nous nous trouvons souvent confrontés à cette dichotomie utérus-lieu de la maternité accepté/vagin-lieu de plaisir refusé. C’est cet antagonisme que nous avons souvent à traiter dans les demandes des femmes, et ce à tous les âges de la vie.
Il est également confronté à la limite des orifices et à leurs représentations transformant une porte d’entrée en une effraction. Enfin, il est porteur de creux et c’est précisément ce creux qui est source d’angoisse pour certaines femmes.
4 - La ligne du temps est toute spécifique à la sexualité féminine : de sa naissance à sa mort, les cycles rythment sa vie sexuelle. Cycles entre puberté et ménopause, cycles menstruels installant une variabilité dans la relation au corps, au désir dans sa dimension hormonale, cycles entre fécondité-maternité et érotisation-plaisir. Nouveau cycle aussi lorsqu’après la ménopause, la sexualité prend une forme moins contrainte et donc plus libre, ou au contraire s’estompe.
5 - La pression sociale de « l’orgasme à tout prix » mais aussi l’évolution de la société depuis les lois sur la contraception et l’avortement, qui permet aux femmes de vivre une sexualité de plaisir sans forcément y associer la « noblesse des sentiments ». Mais les idées reçues ont la peau dure… et nous avons à y faire face ! Chacune construira sa sexualité en lien plus ou moins fort avec l’amour.
6 - Les problématiques de la sexualité féminine doivent se considérer comme des troubles par excellence psychosomatiques, en ce sens que les interactions entre psyché et soma sont directes et à double sens.
7 - Enfin, la plainte s’inscrit dans une histoire de femme, d’épouse, d’amante et donc dans une histoire de vie impliquant la relation à l’autre réel ou fantasmé. Même si le symptôme éclôt brutalement, au décours d’un événement de vie ou sans crier gare, de façon semble-t-il fortuite, il peut s’enraciner profondément dans le passé, empoisonner le présent et mettre en question l’avenir.
RAPPEL DES BASES INTRAPSYCHIQUES DE LA SEXUALITÉ FÉMININE
La sexualité féminine a été l’objet, au cours du XXe siècle, d’études et d’évolutions tant sur le plan psychologique que sociologique, ces deux domaines devant être pris en compte pour mieux comprendre la sexualité de la femme aujourd’hui. Il est donc nécessaire de faire un rappel historique de l’évolution des idées et, en particulier, l’apport de la psychanalyse dans ses modèles théoriques successifs. Les deux textes princeps de Freud sur la sexualité féminine datent respectivement de 1931 et 1932. Un certain nombre de points cruciaux de la pensée freudienne seront largement critiqués et rediscutés par des psychanalystes femmes à la lumière du mouvement féministe.
Sur la base de la découverte de la sexualité infantile et de l’inconscient, à partir de la mise en évidence du complexe d’OEdipe, Freud, avec l’étude sur le masochisme féminin, relance l’interrogation sur la sexualité féminine. Ce qui lui sera largement reproché plus tard, c’est qu’il propose une construction de la sexualité féminine basée sur la sexualité de l’homme et essentiellement tournée vers une quête impossible, l’envie du pénis. Il souligne ainsi pour la petite fille la difficulté de la résolution oedipienne par l’angoisse de castration, celle-ci étant déjà à l’origine « castrée ».
Il reconnaît le mystère de la sexualité féminine sous la forme d’un « continent noir ». Freud termine sa 33e conférence par cette pirouette : « Si vous voulez en savoir plus sur la féminité, interrogez vos propres expériences de la vie, ou adressez-vous aux poètes, ou bien attendez que la science puisse vous donner des renseignements plus approfondis et plus cohérents. »
La question fondamentale au centre des débats psychanalytiques de l’époque qui va changer l’orientation de toute la conception de la féminité est la suivante : « Y a-t-il, chez la petite fille, une connaissance précoce du vagin ? » Si le débat semble dépassé aujourd’hui, c’est sur cette base de la non-reconnaissance d’une féminité originaire que se sont étayés ensuite les courants de réflexion et de contradiction.
Karl Abraham se pose la question d’une première « éclosion vaginale » de la libido féminine destinée au refoulement et pousse ses hypothèses jusqu’à mettre en parallèle les contractions vaginales spontanées de la petite fille et les premières érections du pénis du garçon. Par ailleurs, il précise ses hypothèses en proposant la « théorie du cloaque » mettant en relation directe les sensations transmises de la zone anale au vagin. Cette question avait d’ailleurs déjà été évoquée en 1916 par Lou Andreas- Salomé dans son texte « Anal et sexuel » par sa notion de « voisinage » anatomique, sensoriel et fantasmatique des deux zones dans la sexualité féminine.
L’école anglaise : si pour Josine Müller le vagin est le premier organe investi libidinalement, c’est Karen Horney qui expose ses idées du point de vue féminin. Elle met en évidence, à partir des fantasmes masturbatoires et des rêves des petites filles, leur connaissance instinctive du vagin. En fait, la fillette craindrait les différentes atteintes dont pourrait être l’objet l’intérieur de son corps. Melanie Klein reprend dans ses travaux cette crainte fondamentale en le resituant dans le contexte oedipien. L’envie du pénis est alors investie libidinalement et intériorisé « L’OEdipe de la fille ne s’installe pas indirectement à la faveur de ses tendances masculines, mais directement sous l’action
dominante de ses éléments instinctuels féminins. » (« La psychanalyse des enfants »).
Si l’organe visible est le clitoris, il n’en reste pas moins que la fillette a une connaissance très précoce et au moins inconsciente de son vagin. Les fantasmes et les sensations qui accompagnent la masturbation clitoridienne, les sensations vaginales qui en résultent, traduisent des désirs d’incorporation du pénis paternel (introjection). Dès la phase orale, c’est-à-dire très précocement, par la déception qu’éprouve la petite fille vis-à-vis du sein et sa conséquence, son déplacement au pénis du père (penis-like), l’OEdipe se met en place. Ernest Jones s’opposera radicalement à Freud en soutenant l’idée que la fillette est dès le début plus féminine que masculine et qu’elle plus centrée sur l’intérieur du corps que sur l’extérieur. Peu à peu, la psychanalyse sort de ce dans quoi elle s’était engluée, une vision phallocentrique de la sexualité féminine.
L’évolution de la sexualité des années 1970, et en particulier l’avènement de la contraception et la libéralisation de l’avortement, ont donné la possibilité aux femmes de séparer sexualité de procréation et sexualité de récréation. La mise en évidence et l’invitation à la révolte par les mouvements féministes contre la soumission des femmes au désir masculin ont permis de dénoncer la place d’objet assigné à la femme et de lui reconnaître le droit au plaisir. On s’aperçoit néanmoins dans la clinique que les choses ne sont pas si simples, car bien souvent sexualité et maternité restent liées dans la tête des femmes. Les travaux de Masters et Johnson sur la physiologie du rapport sexuel ont permis également de mieux comprendre le plaisir féminin, tout au moins sur un plan organique. Différents travaux, surtout anglo-saxons et canadiens (par ex. Helen Singer Kaplan, ou plus près de nous, Gilles Trudel) se sont penchés sur la dimension
comportementale et « consciente » de la sexualité féminine.
Si les théories d’inspiration psychanalytique de la psychogenèse de la sexualité nous restent précieuses quant à sa dimension inconsciente, il est un fait qu’on ne peut véritablement envisager une compréhension globale de la sexualité de la femme qu’à travers une vision évolutive tout au long de sa vie, et en prenant en compte sa relation à son corps anatomique, physiologique et fantasmatique. Ainsi, les études récentes montrent qu’orgasme clitoridien et orgasme vaginal sont liés sur le plan physiologique. « Les études scientifiques à niveaux de preuves satisfaisants démontrent bien l’existence d’une zone spécifique du vagin, péri-urétrale, situé sur sa face antérieure, richement innervée, et communiquant de manière dynamique avec le clitoris qui vient s’appuyer lors des mouvements de va-et-vient pendant la pénétration. Cette zone serait à l’origine d’un orgasme pouvant se déclencher pendant les mouvements intra-vaginaux, mais impliquant aussi le clitoris. »
La sexualité de la femme est donc complexe par son aspect secret et c’est avec cette complexité que nous devons composer en sexothérapie hypnotique, la première difficulté tenant aux représentations, tant sur le plan de l’image du corps, de l’acceptation de la féminité, que dans sa dimension d’autorisation face au plaisir et au désir.
REVUE DE SYMPTÔMES SEXUELS FÉMININS À PARTIR DE LA CLINIQUE
La demande sexuelle s’exprime la plupart du temps à travers le symptôme et tourne autour de plusieurs pôles :
- Les troubles du plaisir pouvant aller d’une anesthésie sensorielle totale, y compris sexuelle ou partielle (insensibilité vaginale uniquement), à l’anorgasmie primaire, secondaire ou contingente, a-t-elle des orgasmes clitoridiens ? Quand une femme vient avec cette demande « Je n’ai pas de plaisir… », il est indispensable de lui faire préciser sa demande pour savoir de quoi elle parle. Est-ce une incapacité à atteindre l’orgasme avec une montée de l’excitation ressentie agréablement ? Est-ce une incapacité à ressentir son intériorité ? Est-ce une insensibilité généralisée ?
Tous les degrés sont possibles et la prise en charge dépendra de cette analyse fine du rapport au plaisir de la patiente. Les classifications de Masters et Johnson (1970), puis de Kaplan (1974), sont des points de repères. Celles du DSM-IV sont communément adoptées par les sexologues en se basant sur les quatre étapes de l’activité sexuelle : désir, excitation, orgasme, résolution. Trudel distingue les troubles de l’orgasme des troubles de l’excitation (dysfonction sexuelle généralisée). Le DSM-IV insiste sur l’aspect physiologique de la réponse de l’excitation, c’est-à-dire la lubrification.
- Le vaginisme qualifié par Masters et Johnson comme « un trouble psychophysiologique » qui rend difficile voire impossible l’acte sexuel. En fait, il s’agit d’une
contraction spasmodique de la musculature du vagin qui empêche les rapports sexuels de pénétration.
- La dyspareunie consiste en l’apparition de sensations douloureuses pendant l’activité sexuelle. Les douleurs peuvent être à l’entrée du vagin ou plus en profondeur. Le DSM-IV considère qu’il y a dyspareunie lorsqu’une douleur persistante et récurrente est associée à l’activité sexuelle et cause une détresse marquée personnelle ou interpersonnelle. Notons que nous sommes très souvent confrontés à la spirale douleur/peur/ vaginisme et que dyspareunie et vaginisme font souvent bon ménage. Il est donc important de débrouiller les fils d’un vécu sexuel confus et ces classifications sont là pour nous y aider.
- Enfin, les troubles du désir qui font florès dans nos consultations. Le désir sexuel hypoactif (DSH), tel qu’il est défini dans le DSM-IV, est « une déficience persistante et récurrente dans le désir d’avoir des activités sexuelles ». Cette définition apparaît comme vague et la pratique clinique nous montre combien il est compliqué de prendre en charge ce type de problème qui est toujours multifactoriel. Là encore, nous sommes en face de degrés et de variation très différents d’une histoire à l’autre, d’un moment de la vie à l’autre. La demande prend souvent la forme de la problématique de la fréquence des rapports dans le couple, mais aussi implique de multiples dimensions affectives, expérientielles (traumatismes, habiletés sexuelles liée à l’expérience et aux premières relations), morales, croyances, nature de la relation conjugale, etc., qui souvent s’intriquent subtilement en prenant comme mode d’expression le refus qui
fait fonction d’impasse. Un des axes à explorer sera celui de la nature même du trouble du désir sexuel lié à l’histoire personnelle ou inscrite dans la relation à l’autre. Les liens complexes entre amour et désir seront également au premier plan, même chez la femme et pas forcément dans le sens qu’on pense !
Après ce bref rappel de la symptomatologie sexuelle féminine, il est important de rappeler trois points :
- Les troubles sexuels s’inscrivent toujours dans une histoire singulière et c’est la personne souffrante dans sa sexualité qui va d’abord nous intéresser.
- On ne peut ignorer les interactions subtiles entre les dimensions physiologiques et psychologiques et donc la dimension psychosomatique.
- Enfin, la demande même individuelle implique toujours le tiers réel ou fantasmé.
Sur ces bases, je vais vous proposer un tissage qui servira de modèle général pour la prise en charge des troubles sexuels féminins par l’hypnose.
REPÉRAGES NÉCESSAIRES
Ces repérages s’appuient sur 5 points : l’observation clinique au sens large, l’évitement de l’interprétation trop rapide et directe, l’utilisation du matériel de la patiente, le décodage psychopathologique, la place du symptôme dans l’économie de vie de la patiente.