INTRODUCTION
Peter Pan nous parle de solitude, de cette solitude impensable, abyssale, véritable puits sans fond qui malmène toute relation intersubjective. Se sentir seul avec les autres, se sentir seul avec l’autre, en présence de l’autre, avec celui ou celle qui partage notre vie, se sentir seul malgré l’apparente intimité, c’est dans cette solitude trop peuplée que nous pouvons rencontrer Peter Pan, et réfléchir sur la difficulté pour certains de nos patients à rencontrer l’autre. BRÈVE PRÉSENTATION DE L’OEUVRE
Le personnage de Peter Pan, qui emprunterait le « Pan » de son patronyme en référence à la divinité inquiétante du Grand Dieu Pan, fait sa première apparition en 1902 dans le roman The Little White Bird (traduit en français par Le Petit oiseau blanc) et il fut la source d’inspiration de Barrie pour créer par la suite la pièce de théâtre Peter Pan or The Boy Who Wouldn’t Grow Up (traduit par Peter Pan ou le garçon qui ne voulait pas grandir). La première représentation eut lieu à Londres le 27 décembre 1904. En 1906, la partie de The Little White Bird concernant Peter Pan est publiée seule : Peter Pan in Kensington Gardens, traduit en français par Peter Pan dans les jardins de Kensington, et illustrée magistralement par Arthur Rackham qui révèle la tristesse de l’oeuvre de Barrie, repérant avec poésie et sensibilité la solitude tragique de son personnage principal. Enfin, devant le succès rencontré par lapièce, Barrie adapta celle-ci en un roman publié en 1911, intitulé Peter and Wendy, connu actuellement en France sous le titre Peter Pan. Loin du héros édulcoré de Disney devenu si célèbre dans l’imaginaire collectif, le Peter Pan de l’oeuvre originale est un enfant sombre et troublant. Bébé sans mère et enfant sans mémoire, Peter Pan est d’abord un nourrisson qui, tombé du berceau, s’est enfui à Neverland, traduit par le « Pays du Jamais-Jamais », au nom déjà lourdement équivoque. Cette première chute est en soi un drame d’une tristesse écrasante et porteur d’un chagrin à jamais inconsolable. Car comment imaginer la chute d’un bébé insuffisamment « porté » au sens winnicotien, un bébé si insuffisamment aimé qu’il peut en tomber d’affliction ? Barrie luimême n’exclut pas que cette chute précoce symboliserait la mort.
C’est ainsi qu’il explique dans ses notes sur le programme de la pièce en 1908 : « De Peter vous pouvez penser ce que vous voulez. Peut-être était-il un petit garçon qui mourut jeune et c’est ainsi que l’auteur conçut ses aventures. […] » Prisonnier de son no man’s land intérieur, Peter Pan est revenu quelques années plus tard dans le monde réel et a volé vers sa maison pour retrouver une mère qu’il n’avait jamais pu complètement oublier. Mais il a trouvé fenêtre close. Seul dans la nuit glacée, Peter Pan s’est confronté à l’impensable : sa mère l’avait remplacé par un autre enfant et l’avait oublié.
Ce second traumatisme fut insupportablepour Peter Pan qui s’exila à jamais à Neverland. Dans ce Pays imaginaire, Peter Pan vit dans une temporalité éclatée, en miroir avec sa mémoire détruite dans laquelle rien ni personne ne peut venir s’imprimer. Soustrait au temps qui use le corps et à la gravité qui ancre dans la réalité, Peter Pan virevolte sans jamais se poser à travers d’incessantes aventures et des combats avec son ennemi juré, le Capitaine Crochet. Ce dernier est le seul adulte présent à Neverland. Le seul donc condamné à vieillir et à mourir…
Terrifié par sa mortalité, le Capitaine Crochet est par opposition à Peter Pan déjà « grignoté » par le temps, et ce vain combat contre cet ennemi invisible est symbolisé par l’amputation de son bras, tranché par un Peter Pan triomphant qui l’a jeté en pâture au Crocodile. Peter Pan est entouré d’enfants perdus, d’autres enfants également tombés de leurs landaus qui ont été recueillis par Peter Pan qui leur assure protection et assistance. Pourtant, ce sont en particulier les rapports qu’entretient Peter Pan avec ces enfants qui viennent jeter une lumière crue sur l’aura tragique qui entoure le personnage de Barrie : Peter Pan massacre en effet ces enfants sans pitié dès que ces derniers grandissent, car cela est contraire au règlement qu’il a institué. Ces actes barbares représentent ainsi l’horreur de l’existence de cet être qui évolue dans l’univers désertique et hostile de sa propre désertification psychique.