Une approche (méta)philosophique et littéraire de la sexualité



Par Philippe Le Cavorzin, Emilie Leblong et Nathalie Dessaux
La sexualité dérange continûment les représentations que nous avons construites de nous-mêmes. Cet affrontement intime transparaît tout autant chez l’homme « moderne » que chez ses prédécesseurs, qu’il soit écrivain, philosophe ou patient dans le cabinet du sexologue.


INTRODUCTION
Parce que sexologie, philosophie et littérature s’attaquent d’abord à interroger nos croyances, pour permettre peut-être l’émergence ultérieure d’une pensée, il s’offre peut-être là une riche combinatoire, où nos représentations mentales seraient interrogées à la triple
lumière des idées (au travers de la philosophie), de l’émotion (à travers la littérature) et enfin du corps (dans certaines sexothérapies). Se pourrait-il que nos représentations sexuelles soient intimement liées à nos représentations du monde, elles-mêmes manifestations d’une pensée, à son tour inscrite dans le contexte d’une époque ? Une pensée formalisée par le philosophe, exprimée par l’écrivain, « imprimée » dans les corps... Serait-il alors envisageable de construire une « méta-philosophie » de la sexualité, interrogeant les époques successives, usant pour cela de l’optique des idées, de la métaphore des mots pour enfin travailler le corps ?

L’entreprise semble difficile, ne serait-ce que parce que : « La sexualité est la question qui soit la plus occultée en philosophie. Elle y est souvent vue comme un obstacle à
la pensée, voire comme un empêchement politique. L’amour d’un individu singulier favorise en effet la particularisation, qui empêche le souci du genre humain en son
ensemble. [...] Ainsi jusqu’à une période récente aucun philosophe n’a osé parler crûment de son sexe, et ce depuis Platon. » Il est vrai que, pour aborder la singularité d’une situation ou d’un individu, l’abord conceptuel de la philosophie ne semble pas suffire. Il aurait bénéfice d’être complété d’un abord plus narratif, c’est-à-dire d’un abord plus littéraire.

Roland Barthes écrivait : « Il faut affirmer le plaisir du texte contre les indifférences de la science et le puritanisme de l’analyse idéologique ; il faut affirmer la jouissance du texte contre l’aplanissement de la littérature à son simple agrément ». La mimésis d’Aristote faisait ainsi émerger en nous, d’après sa peinture d’une action et à travers le texte, une représentation originale qui n’y était pas d’emblée contenue. Et c’est là même la source du plaisir que le texte suscite. C’està- dire que la littérature nous emmène,
et dans le plaisir par surcroît (dans la jouissance, dirait Roland Barthes), à revisiter nos représentations, à les réécrire en nous-mêmes.Pour se comprendre, faudrait-il alors
revenir aux origines de la langue : « Le feu couve sous la langue. Gaude mihi (Réjouis-moi) devint « godemiché ». Cunnus, con [...]. Sans cesse la langue souche, la langue protomaternelle est celle de l’outrage, c’est-à-dire est la langue où l’obscénité se désire le plus. La sépulture de Musa n’est jamais refermée. C’est la langue latine. Ce qui
est avant notre langue renvoie à ce qui est avant notre naissance. La couche la plus ancienne (le latin) dira la scène la plus ancienne. »
 
LE COMMENTAIRE DU SEXOLOGUE :
Le langage, celui-là même utilisé par les philosophes, interroge la raison, il est vecteur de la rationalité, il nourrit des concepts, des abstractions, produits de la pensée, là où le langage utilisé par les poètes et les littérateurs l’est pour créer l’émotion, éveiller des images, des sons, des sensations, comme la sexualité. Les philosophes peuvent discourir sur la sexualité, ils ne sauront jamais parler de l’émotion sexuelle : leur langage est trop abscons, il parle à la tête, alors que la sexualité parle au corps, aux sens. Comme la poésie, la littérature.
 


Joëlle Mignot est psychologue clinicienne spécialisée en sexologie clinique et en hypnose… En savoir plus sur cet auteur

Rédigé le Jeudi 17 Novembre 2016 à 15:54 | Lu 830 fois modifié le Mercredi 14 Novembre 2018
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