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La Revue des Praticiens en Hypnose et Sexologie, dirigée par Joëlle Mignot

Anton et Angie ou quand le couple devient un tremplin. Lionel Souche



La présente illustration d’un processus clinique évoque des consultations psychosexologiques visant à traiter non seulement un trouble du désir féminin, mais aussi la souffrance conjugale issue de deux histoires singulières. A partir du contexte de la demande initiale d’un couple, nous aborderons comment l’approche EMDR intégrée dans une psycho-thérapie de couple fait office de ressource dans une impasse communicationnelle. Du symptôme à la, problématique générale, notre analyse portera une nouvelle fois sur la manière dont la prise en charge sexologique interpelle des éléments individuels sans pour autant occulter un travail de mise à niveau dans l’accordage des deux membres de l’entité couple.


1. ANAMNÈSE

Anton, 27 ans, qui a choisi le métier d’agent de laboratoire davantage pour les commodités horaires que par intérêt intellectuel, vit en couple avec Angie
28 ans, éternelle étudiante en psychologie, accessoirement hôtesse d’accueil pour une grande enseigne. Il fait la proposition à sa partenaire de se rendre à ma
consultation « avant que les choses ne dégénèrent » (sic). Elle accepte, « essentiellement pour voir » (sic). C’est sur cette base précaire que je rencontre un
couple noyé dans une impossibilité de s’entendre dans la vie de tous les jours comme de mettre en travail leur entente sexuelle. Unis de fait depuis deux ans, ils font rapidement le constat que la qualité de leur sexualité n’a jamais été ce qui les a séduits. Simplement, il l’aime et ne se pose pas davantage de questions. Elle pense avoir quelque chose à faire avec lui mais ne saurait dire quoi.

2. DEMANDE DES PATIENTS ET LE SYMPTÔME SEXUEL ET/OU AFFECTIF

Les conflits sont intenses et initialisés le plus souvent par des reproches croisés auxquels s’ajoutent a posteriori de longues et régressives bouderies : nous sommes en présence d’une escalade symétrique caractéristique d’un couple souffrant. Le manque d’initiative dans les rapprochements est présenté comme le déclencheur de toute tension. Au final, ils n’ont plus de rapport depuis huit mois et réalisent pour la première fois en séance que tous deux en souffrent. La mésentente était telle qu’ils sont allés jusqu’à penser à une tentative de prise de pouvoir dans le couple. L’évaluation des équilibres conjugaux et sexuels met à jour au sein de ce couple des croyances au nom desquelles chacun censure son besoin de communication.

La conjugalité se polarise ici autour d’un règlement de comptes où l’autre est
rendu responsable tout en étant incapable jusqu’ici de s’en séparer. Les processus
ont progressivement varié en intensité oscillant entre projection et persécution.
L’actualité des conflits a atteint un point tel qu’Anton propose une démarche
ultime avant de se résoudre à rompre tout en précisant qu’il le déplorerait amèrement.
Sa frustration sexuelle est telle qu’il songe à aller voir ailleurs. Angie se vit
comme une passive victime, ne comprenant pas comment ils ont pu en arriver là.
Farouchement convaincue que seul l’inconscient détermine les destins et qu’hors
des sentiers de la psychanalyse orthodoxe aucune démarche n’est valable, elle
tente d’élaborer cette souffrance de son propre côté tout en faisant le constat que
rien n’évolue de manière satisfaisante dans les interactions.

3. BASES THÉORICO-PRATIQUES UTILISÉES POUR L’ANALYSE DU CAS À PARTIR DU REPÉRAGE

Anton et Angie semblent tombés dès la formation de leur couple dans le piège selon lequel les fonctionnements individuels s’enlisent dans le dysfonctionnement du miroir conjugal. Ils ont le sentiment de savoir précisément ce que l’autre ressent a fortiori dans le désir sexuel, présument de son absence et se privent d’une quelconque sollicitation tout en souffrant de devoir taire leur frustration afin de protéger la relation. Ce leurre conjugal distille continuellement des interactions négatives empêchant l’émergence de la différenciation. Son plus évident danger se définit basiquement par la peur de se rendre compte que le lien est complètement différent de ce que l’on pensait être : en se différenciant, on perdrait ses repères, même issus de la plus pure utopie. Chacun des membres de ce couple a peur de ne pas être compris par l’autre et que cette dissonance malmène le lien, préférant la loi du silence qui a pour intérêt de permettre la préservation d’une union au prix du platonisme présenté.

Une première régulation d’orientation systémique en trois séances permet à chacun de s’autoriser à évoquer désirs et fantaisies. D’un commun accord, ils trouvent que la scène conjugale se libère tout en laissant place aux vulnérabilités et inhibitions de chacun. Ce qui semble affecter à la fois le couple et chacun de ses membres à sa propre manière pourrait se traduire par leurs réactions de vives déceptions alors que les temporalités des sollicitations sexuelles manquent de synchronie. Anton déclare qu’en raison de ce qu’il nomme « des casseroles familiales » (sic), il sait devoir faire un effort conséquent pour dissocier ce qui appartient à la relation avec Angie du poids d’une histoire pauvre en démonstrations affectives. S’il souffre toujours de ce manque de chaleur dans son environnement, Anton pense pouvoir être autonome dans ses élaborations. Tout en laissant la porte ouverte à un travail s’il le demandait, je connote positivement ses motivations et déterminations.

En revanche, Angie affirme clairement peiner à sortir d’un conflit qu’il convient de situer, sur un plan psychodynamique, à un niveau névrotique. Elle se pense décevante tout en alimentant de ses propres termes une injonction paradoxale dans son couple : « Je lui reproche de ne pas me donner l’impression d’être intéressante tout en faisant tout pour qu’il se lasse. » Démunie, Angie est prête à travailler sa situation. J’accepte de la prendre en charge à titre individuel. Afin de ne pas surcharger la désignation de la jeune femme, je pointe d’emblée la nécessité de procéder à une seconde régulation conjugale, une
fois les équilibres en présence redistribués. Ils sont d’accord et nous prenons date avec possibilité de reporter s’ils ne se sentent pas prêts.

4. CHOIX DES PISTES CLINIQUES QUI « SE DESSINENT » À EXPLORER

Nous nous accordons avec Angie pour travailler à partir de l’approche EMDR, ou Eye Movement Desensitilization & Reprocessing. Dans ce même numéro, j’en ai déjà proposé une définition sommaire. Rappelons simplement qu’elle vise à cibler puis à retraiter ce qu’il convient de nommer des cognitions négatives issues d’expériences précoces non digérées. La pertinence de cette thérapeutique consiste à aligner les perceptions, émotions et souvenirs, par exemple sous forme d’images. Une fois cernées, ces trois dimensions permettent de remonter à un souvenir dit source où les quantum traumatiques ont excédé la capacité du patient à dépasser une situation source d’angoisses. Le traitement psychothérapeutique est de l’ordre de la désensibilisation jusqu’à évocation des difficultés sans perturbation éprouvée. Le legs de ces perturbations se manifeste par l’installation et le maintien de cognitions dites négatives. Dans la
présente situation, Angie souffre du poids conséquent d’un « je suis décevante » qui l’entrave dans la réalisation qu’elle est par ailleurs – et sans doute surtout – intéressante.


Joëlle Mignot
Joëlle Mignot est psychologue clinicienne spécialisée en sexologie clinique et en hypnose... En savoir plus sur cet auteur


Rédigé le Mercredi 23 Avril 2014 à 15:20 | Lu 1356 fois modifié le Mercredi 14 Novembre 2018

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